A Puteaux, la ville distribue des cartables roses pour les filles et bleus pour les garçons. Si cette action est faite au nom de l’égalité des chances, le choix des couleurs selon les sexes révèle bien la persistance des stéréotypes genrés : le rose apparaît comme une couleur « girly ». Le terme girly est utilisé par les adolescents et les adolescentes pour désigner les filles recopiant certains comportements féminins très stéréotypés. Ce modèle d’une femme, habillée dans les tons roses, qui ne voudrait pas se salir ou se casser un ongle tend à construire une vision de la féminité centrée sur les apparences et par conséquent superficielle. Lors de son introduction en France, ce terme a pris une note condescendante. En effet, dans une grande partie de films ou de livres contemporains, les personnages féminins se préoccupent majoritairement de leur apparence alors que les personnages représentant l’autorité ainsi que les figures plus intellectuelles sont plus octroyées à des hommes. Ainsi, cette idée est ancrée dans les mentalités et façonne les différents arts, mais est-elle encore un modèle pertinent pour parler des femmes ou d’une partie d’entre elles ?
Une fille dite « girly » serait une fille qui imiterait les comportements féminins stéréotypés : attention à son apparence, recherche d’un homme plus que d’un travail. Des études révèlent toutefois un changement des mentalités avec, par exemple, une participation croissante des femmes à des études jusque-là préférées par les hommes, comme la physique ou l’ingénierie. Ainsi, le cantonnement des femmes à des rôles traditionnels tend à être de plus en plus dépassé. La diversification des attitudes féminines, avec par exemple la mode streetwear et le look boyish prennent à contre-pied l’image de la femme apprêtée et soignée dans un look classique. Cependant le terme persiste. Pourquoi alors faire de girly un terme générique alors que celui-ci ne réfère plus à une réalité distincte ?
« Girly » est en réalité un label. Si ce terme continue d’être utilisé, et par les femmes elles-mêmes, c’est parce qu’il est un point de repère adéquat et pratique sur le marché. Le marketing le révèle bien : les jouets pour filles sont pour la plupart présentés dans une atmosphère pailletée et les films pour pré-ado filles répondent à des critères précis comme des héroïnes fashionistas à la recherche de l’amour. Certes les jouets sont par essence récréatifs et sont présentés de manière ludique dans les publicités, toutefois, les différences de marketing entre les jouets pour filles et les jouets pour garçons révèlent bien les visions particulières des deux sexes : les paillettes s’imposent et débordent des publicités pour jouets féminins.
En se penchant sur la question, on se rend toutefois compte que ce marketing genré est perpétué par des femmes et à destination des femmes. En réalité, c’est bien le succès de ces stratégies marketing qui permet leur pérennisation. En effet, plusieurs bloggeuses ou influenceuses débutent en adoptant ses codes « girly » (parler mode, évoquer sa vie de couple, créer une ambiance « entre filles ») : cela leur permet de grandir grâce à un public fidèle et adepte de leurs conseils. Toutefois si elles cherchent au début être labellisées girly, une fois solidement implantées sur le marché, elles préfèrent élargir leur public et s’émanciper de ce marché peut être réduit : le terme « girly » bien qu’efficace reste réducteur par son accent condescendant et en gagnant en visibilité et en succès, ces bloggeuses ou influenceuses cherchent à s’affirmer dans une féminité choisie et plus nuancée.
EnjoyPhoenix, une des premières françaises à avoir importé le concept de la youtubeuse beauté, illustre bien cette émancipation progressive des codes girly : elle a débuté sa chaine YouTube à 16 ans en 2011 en faisant des vidéos de beauté majoritairement. Aujourd'hui, elle compte une audience de 3,7M d’abonnés sur YouTube, dont plus de 50% a entre 18 et 35 ans (ses abonnés de la première heure). Elle a élargi sa palette de vidéos : elle a notamment lancé une chaine de cuisine, s’est livrée sur des sujets plus intimes et sérieux (sa relation au tabac, l’argent gagné grâce à YouTube, les troubles du comportement alimentaire …) et a pris un tournant inédit en ne s’intéressant qu’uniquement aux marques de cosmétiques écoresponsables. Son compte est maintenant lifestyle, fashion et food : en sortant de la catégorie beauté, elle a conquis un nouveau public, plus mature et plus âgé.
Au-delà d’être un label, « girly » est surtout un qualificatif décrivant de manière condescendante les comportements des préadolescentes mais également de trentenaires, lorsqu’elles recréent ces comportements féminins stéréotypés (comme lorsqu’elles utilisent un ton plus frivole pour évoquer leur situation sentimentale). Le choix de créer un adjectif sur le nom « girl » et non « woman » révèle bien que le curseur se place vers un nivellement des femmes au rang de femme-enfant. Alors que la tendance actuelle de la société prône une indépendance des femmes, le vocabulaire tend à les cantonner à certains rôles, notamment celui de la femme-enfant, comme si la femme superficielle et frivole persistait et était présente chez chacune.
Pourquoi les femmes perpétuent l’usage d’un tel mot si cela est aliénant ? Peut-être par complaisance inconsciente car rester dans les stéréotypes genrés et appartenir à une catégorie définie rassurent ; sûrement par habitude car la publicité genrée pousse à la consommation en présentant des images séduisantes qui s’impriment dans l’imaginaire collectif. Or ces publicités reflètent les tendances sociétales pour pouvoir ainsi recevoir un accueil favorable des consommateurs. Ce cercle vicieux qui entretient ces stéréotypes rend difficile l’affranchissement de ces habitudes de penser. Le canal qui participe le plus à la construction de modèles, véridiques ou non, est le cinéma. La multitude de films centrés sur des personnages féminins pourrait être synonyme d’une surreprésentation des femmes au cinéma. Toutefois une étude montre que les personnages féminins restent ancrés dans des rôles traditionnels comme celui de la femme-mère. Le test de Bechdel consiste à compter les films dans lesquels au moins deux femmes sont nommées, discutent ensemble et parlent d’autres choses que d’un homme. En 2018, sur 8000 films, plus de 40% échouaient à ce test, démontrant la prégnance des rôles secondaires voire superficiels des personnages féminins. Ce test ne vise pas à dénoncer les films sexistes, mais il met en valeur la prégnance des rôles secondaires voire superficiels des personnages féminins. En somme, dans le monde du cinéma, certes le sujet féminin est prédominant, mais il reste cantonné à une représentation partielle de la femme.
Ainsi, l’usage du terme « girly », qui pointe du doigt une féminité vue dans sa superficialité, répond à des considérations commerciales mais influe sur la manière dont les jeunes femmes se construisent : en intériorisant dès l’enfance la différence de tonalité entre la description d’une atmosphère « féminine » et une « masculine », la jeune fille prend note de la légère condescendance à son égard quand elle embrasse les stéréotypes de son genre. A l’inverse, se détourner du modèle girly se paie d’une recherche d’identification plus laborieuse et d’un positionnement plus nuancé sur le spectre de la féminité.
La difficulté insidieuse du terme « girly » est que son utilisation est perpétuée en partie par les femmes qui s’y conforment par confort et pragmatisme. Cependant, étant donné qu’il n’existe pas d’adjectif formé sur « boy » pour dénigrer une atmosphère masculine particulière ou stéréotypée, on peut penser qu’abandonner « girly » ne nuise pas à la bonne description d’une scène ou d’un film. Comment y remédier ? En cherchant les véritables caractéristiques sous-entendues derrière le mot girly. Les films comme Legally Blonde sont relaxants et les jouets saturés de paillettes sont tape à l’œil ou même niais, mais pas girly : le genre ne doit désormais plus être la caractéristique première.
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