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Comment la masculinité vient aux garçons et l’illusion d’un modèle masculin naturel

S’il est une preuve concrète que la déconstruction féministe n’a rien, ou ne devrait rien avoir, d’un activisme mené par les femmes contre les hommes, au profit des unes et au détriment des autres, c’est que cette démarche est également libératrice pour les hommes. Ce modèle patriarcal en effet, qui contraint les hommes à la virilité, est tout autant une construction sociale figée que le modèle qui renvoie les femmes à la sensibilité ou au travail ménager. En fait devrais-je dire, c’est le même modèle qui contraint les unes et les autres, et ce pour une raison simple et aisément compréhensible. Il est des activités, des états d’esprit, des façons d’être, auxquels la société patriarcale dans laquelle nous vivons attribue une certaine gloire, un certain panache ; et d’autres auxquels elle attribue certes une utilité, voire une nécessité, mais jamais une audace qui soit digne de rester dans les mémoires, ni un mérite particulièrement extravagant.


Pour ces deux catégories spécifiques de comportements et actions, la société, telle qu’elle s’exprime dans la littérature, en politique ou dans notre vocabulaire, a fixé deux genres bien distincts. Comme on le sait, le masculin et le féminin recouvrent ainsi des réalités plus larges que la seule physiologie ou la sexualité. On ne saurait assez répéter que ce processus social, archaïque mais encore bien présent, donne à la femme le rôle de soutien, d’actant secondaire qui se délaisse au profit de l’autre, qui offre sa sensibilité, sa douceur et son écoute en échange de protection et de sûreté. Ce rôle féminin injustement défini, et si contraignant, est légitimement au cœur des revendications féministes. Il y a cependant un deuxième personnage au centre de ce conte patriarcal que nous chante la société à longueur de journée, et c’est celui de l’homme viril. Fort, robuste et ambitieux, le voilà qui déferle, rien, ni les doutes, ni les remords, ne doit arrêter sa route ; intenable, il n’y a qu’une femme à ses côtés qui puisse calmer ses ardeurs et tempérer son action. L’homme, toujours selon cette fantaisie encore trop réelle, ne doute pas, de même qu’il ne pleure pas, et de ce fait, il ne se plaint ni ne se confie, il avance sans peine et sans regret. Si rien ne doit l’arrêter, c’est que l’homme est fier par définition, sa personne quasi divine est inviolable et le moindre échec comme la moindre larme doit représenter pour lui une atteinte à sa condition virile, une remise en cause inacceptable de sa destinée. La seule faille dans son armure est celle que parvient à creuser une femme, chose acceptable pour notre héros car le mérite d’avoir conquis un cœur si doux lui reviendra en fin de compte. Voilà le mythe qui définit l’homme dans notre société patriarcale; étudions en les conséquences pratiques.


C’est à cet égard mon propre exemple que je vais prendre, car j’ai si souvent senti sur mes épaules comme sur celles de mes amis le poids de la virilité et le silence qu’il impose quant à nos doutes et nos souffrances. Ce poids s’est matérialisé dès la cour de récréation de l’école primaire, puis dans celle du collège, à travers les insultes qu’il nous fallait échanger entre garçons pour affirmer notre force, là où les filles pouvaient, semble-t-il, discuter tranquillement de leurs tracas. Bien que cette réalité m’ait paru regrettable dès mon plus jeune âge, j’enviais les rois du collège qui s’imposaient aux autres et ne doutaient apparemment de rien. Ils étaient bien plus semblables aux héros de mangas et de films que je ne l’étais, et semblaient puiser dans leur force une confiance inébranlable. Je me suis ainsi trop souvent senti défaillant au regard de cet idéal de robustesse, et je suis donc en mesure d’affirmer que la virilité ne m’est pas venue naturellement mais que j’en suis venu à la désirer du fait de l’aplomb qu’elle conférait en société. J’ai compris plus tard, et c’est aujourd’hui une évidence pour moi, que cet idéal viril agissait comme un filtre dans nos conversations entre amis. La sensibilité, l’expression de l’amour, l’envie d’aller vers l’autre, tout cela ne passait pas et devait être exprimé de la manière la plus détournée possible, de manière à ce que personne ne puisse remarquer cette “faiblesse”. Cet impératif social ne s’est malheureusement pas arrêté aux grilles du collège et il pèse encore sur les nouvelles relations que je tisse. Il me faut encore bien trop souvent déconstruire le cadre de la virilité et m’efforcer d’imposer dans mes cercles d’amis l’écoute et l’acceptation de la sensibilité.

La robustesse ne devrait pas être masculine, comme la sensibilité ne devrait pas être féminine, aucune de ces conceptions n’est naturelle et nous devrions nous méfier des définitions figées qui s’imposent à nous, si élogieuses puissent-elles paraitre au premier abord.



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